L'écran noir à nouveau, même pas de coup de semonce, ou en réponse à ta provocation - le gars a juste perdu les pédales, les manettes, la totale. Et toi, connecté à son putain de système, tu en as fait les frais.

Tu n'étais pas reparti, pas aussi loin, pas dans les eaux ténébreuses de l'inconscience précédente. Tes tympans bourdonnaient sévèrement, et tu avais pu sentir la prise de quelqu'un, la sensation de froid immédiate qui s'en va, avec le flottement, vite remplacée par la dureté du sol, l'air qui mord tes vêtements trempés. Tu te maudis, dans cet espace de demi-conscience, d'avoir été au fond de ce putain de trou, ou plutôt, de ne pas y être allé en même temps qu'eux. Tout ton corps te fait souffrir, comme une espèce de douleur non localisée et constante, une migraine mais dans chaque parcelle de ton anatomie. Putain de netrunning.

Tu ne saisis pas encore la main de Reed, à peine la chaleur de l'autre sur sa joue, tu ne sais même pas que tu as ouvert les yeux - parce que tu penses les avoir clos, faute d'informations visuelles envoyées à ton cerveau. Les tympans qui se calment, le cœur aussi, les sensations qui reviennent - et avec elles, la douleur, mais c'est pas comme si tu pouvais sélectionner ce que tu pouvais garder ou pas.

Tu te crispes à la sensation d'un câble qui revient dans ton port neuronal - tu n'apprécies pas la chose, surtout pas par surprise. La voix de Jude commence à arriver à tes oreilles, juste après celle que tu penses avoir identifié comme le lieutenant. Tes oreilles remarchent enfin, te permettent d'entendre les mots du netrunner du camp.

I was going to say- It's good to see you guys- but guess the fuck not.J'allais dire- ça fait du bien de vous voir- mais je suppose que non putain.

Ta main libre qui se lève pour retirer la connexion de Jude sans prévenir - plus envie d'être connecté à quoi que ce soit pour le moment, bizarrement - puis qui vient pour masser l'arête de ton nez, fermant tes yeux, essayer de chasser un mal de tête qui va sûrement s'installer pour plusieurs jours.

This is by fucking far- the worst hangover- ever.C'est, de très loin- le pire lendemain de cuite- que j'ai jamais eu.

Obligé de faire une vanne - ce serait pas toi sinon. Tu rouvres pas encore les yeux, encore une seconde, puis t'y tente - rien, que dalle, nada. Mais tu es au moins assez conscient pour sentir ces doigts entre les tiens, et le soulagement que tu ressens à ce simple petit contact, auquel tu réponds immédiatement - aucune explication valable de pourquoi ça te fait plus de bien qu'une nuit complète et cinq anti-douleurs, et pas envie de chercher le pourquoi du comment.

Tu demandes pas l'autorisation - tu serres la main de Reed pour lui faire comprendre que tu vas t'en aider pour te mettre au moins assis, étape par étape. Mais une fois dans la position, tu ne le lâches pas pour autant - véritable point d'ancrage, dans ce merdier sans nom qu'est ta tête, dans ton corps encore un peu frissonnant du choc précédent, dans le processus de bravoure apparente que tu mets en place quand en réalité, tu adorerais aller te pieuter pour seize heures de suite, là, tout de suite. Ta tête qui tourne avec tes yeux qui se baladent même si tu vois que dalle, voulant faire comprendre aux deux autour de toi que tu t'adresses à l'un comme à l'autre.

Are you- okay ?Est-ce que- ça va ?

Incapable malgré cette soudaine bouffée d'air frais qu'est ta bonne humeur et ton humour, de cacher un peu d'inquiétude sous cette question que tu ne devrais pas avoir à poser si tu avais des yeux fonctionnels pour y répondre tout seul. Jude peut peut-être le voir dans tes traits, Reed le sait d'instinct à tes doigts qui serrent plus fort.

Résumé:

Privé du sens qui t'est sans doute le plus essentiel des cinq, tu n'as pas d'autre choix que de te reposer sur les autres. Trouver un apaisement dans ce tube de papier dans une de tes mains, t'accrocher avec l'autre à la sienne, salvatrice, littéralement, et te suspendre figurativement du bout des doigts aux paroles, aux mots, aux tons, aux vibrations des timbres de voix des deux personnes à côté de toi. Vulnérable à la perte de ces informations quasi vitales à ce moment-là, réagissant ainsi si naturellement à cette main qui te quitte - la tienne qui suit dans le mouvement, lâche quand la distance est trop lointaine, comprend alors que le mouvement est volontaire.

Le cœur serré un instant, que tu tentes d'apaiser avec une autre dose de nicotine - il y a des maux qu'aucune addiction, aucun médicament ne saurait calmer. Tu essayes de passer outre, retrouver ta bonne humeur malgré la douleur qui est encore bien présente en sous-ton dans tout ton corps.

The "blind man". Cool.Le "mec aveugle". Cool. Que tu répètes dans un souffle, pas comme si tu savais pas que c'était toi, mais parce que c'est bien, ça souligne le fait que tu te sens vraiment inutile tout à coup, et c'est un sentiment très agréable.

Tu ne réagis pas aux sons qui suivent alors que tu finis ta clope - tu n'as pas besoin, et tu sais très bien, tu as les images dans la rétine même quand elle est en panne. Tu fermes les paupières une seconde - mouvement inutile mais réflexe - et tend le bras à la recherche de Jude que tu finis par trouver. Tu t'aides de son avant bras pour te relever, mais sans prévenir, tu le tires vers toi une fois debout, pour lui murmurer quelque chose à lui seul.

This is your one opportunity Jude, to tell me what the fuck is up. I'm not sure we will have another.C'est ta seule opportunité Jude, pour me dire ce qui se passe. Je doute qu'on en ait une autre.

Ce n'était pas vraiment menaçant, mais ta prise sur son bras est quand même un peu affirmée. C'est entre le fait d'arriver au milieu de la fête et de pas capter ce qui se passe, mais à la fois, de bien sentir que quelque chose est off, et de ne pas pouvoir mettre le doigt dessus - encore moins sans pouvoir poser tes yeux sur les visages qui t'en diraient bien plus. Oui, bien sûr, l'ambiance est pas au beau fixe vu l'endroit où vous vous trouvez, mais pourquoi est-ce que tout le monde était si tendu, maintenant que tu étais hors de danger ? Peut-être que c'était juste la perspective de te perdre qui les avait mis dans cet état. Peut-être pas - et ce pas, tu voulais savoir ce qu'il cachait, dans cette optique illusoire d'aider sur le seul point où tu pouvais encore être utile - le mental des troupes.

Tu te reconcentres sur Reed, enfin, sa voix, et lui répond en dirigeant ta tête du mieux que tu peux - yeux clos. T'as abandonné de les ouvrir, ça sert à que dalle, et quelque part, ça repose ton esprit engourdi.

Good to go, lead the way.Prêt à partir, ouvre l'chemin.

Alors que t'as fait un pas en avant, tu t'arrêtes, arrêtant donc Jude dans le même temps.

Where the fuck to though ?Mais où on va en fait ?

Ta question plus pour Reed, mais ta main resserrée sur le bras de Jude, pas par peur, mais pour lui rappeler l'opportunité quand le lieutenant se mettre à avancer, et peut-être, peut-être, juste un peu par inconfort de cette situation. Pas parce que la cécité te terrifie mais parce que tu te sens inutile. Et l'inutilité, en plus d'être un poids, quand tes proches pouvaient être en danger, ça t'était tout bonnement insupportable.

Résumé: