Ni froid, ni chaud. Ni apeuré, ni triste, ni en colère. C'était quelque chose d'étrange que cette sensation que tu avais si rarement vécu, mais le peu de fois où elle t'avait atteint, elle avait été strictement pareille dans son ressenti. Trop, tout, à la fois, en même temps, sans savoir ce que tout signifiait. Juste submergé, attaqué de tout côté, sans aucun endroit où se planquer, sans rien pour se défendre. À l'image de ce corps refermé comme une coquille, qui cherche à se cacher, à disparaître sur lui-même. Logiquement, à se protéger des autres - mais si l'on creusait un peu, si ta lucidité le permettait, le réflexe venait plutôt d'une place désirant empêcher les autres de subir la vue de ton chagrin.

Comme si c'était invisible, juste parce que tu étais recroquevillé comme un enfant dans un coin, te faisant le plus petit possible. Non, évidemment que non. Mais quand tu rasais les murs, au début de ton expérience en tant que Sonoran, c'était pour ça. Terrifié à l'idée d'être oublié, faisant tout pour l'être. Putain d'ironie du siècle.

Et dans le noir, c'était pire. Avec toujours cette inutilité à travers la trachée qui t'étranglait. Le danger n'était plus mais tu n'en étais pas même conscient. Trop occupé à te laisser absorber par ce tourbillon, te laisser tirer par le fond, même pas certain que cette abysse en avait un. Vraiment ce sentiment de noyade, ironique jusqu'au bout, pour le poisson dans l'eau que tu étais. Un espace confortable qui devenait soudain une prison, un enfer.

Jusqu'à la lumière, la bouée de sauvetage, la main tendue. Tu ne sais pas quel premier mot ou geste atteint ton esprit, tes tympans. Tu les entends mais tu ne les écoutes pas vraiment. Te raccroche un peu plus au fil du temps, revenant à des moments plus récents que ces quelques jours de janvier d'il y a des années. Espère sortir de ta catatonie comme tu l'as fait il y a plusieurs semaines - mais cette spirale semble plus profonde, plus traîtresse. Cette absence de vue n'arrange rien, là où tu te sais capable de lever la tête si tu pouvais tous les voir d'un coup.

Tu retrouves ton souffle - jamais perdu, mais tu reprends conscience de son existence - focus sur cette respiration en désordre, essayant de la calmer - plus ou moins en vain. Une sensation qui revient à la fois, jusqu'à celle à laquelle tu peux te raccrocher - tes mains. Desserrer ta prise, la douleur dans chaque articulation d'avoir appuyé si fort, pour mieux attraper sa main sur ta tête des tiennes, la serrer sans savoir s'il y a vraiment de la force dans tes doigts ou non - tu n'en es pas là dans la saisie de cette corde qui tient à ta survie, dans la compréhension de tes mouvements. Encore moins de tes mots, non filtrés, désordonnés, dans la mauvaise langue, qui, à ce stade, s'échappent sous la forme la plus brute de ce que ton âme a besoin de véhiculer.

Nunca me sueltes- Reed-

Pas moyen d'en articuler plus, le visage toujours enfoui dans les genoux, qui n'a pas encore saisi son autre main qui s'est glissé sur ta joue - juste concentré sur cette pensée primitive, que tu parviens quand même à relancer, alors que tes mains entourent la sienne, s'accrochent à sa chaleur.

Don't- Don't let me go-

Le sanglot qui agrippe au dernier mot cette traduction aléatoire dont il manque le mot clé le plus important, nunca, - mais tu le rattrapes, ce sanglot, le laisse unique, solitaire, pour juste serrer davantage, cette unique prise qui te raccroche à la réalité toujours teintée de cette terrible obscurité.

Résumé:

One step at a time.

Un credo que tu avais toujours appliqué, sans même que tu aies besoin de la piqûre de rappel. Outre le besoin de le verbaliser aux autres, tu avais toujours fonctionné de cette façon. Efficace, en équilibre mais jamais précaire, tu n'étais pas de ceux qui trébuchaient, rarement, voire jamais. C'était peut-être pour ça que c'était si difficile de se relever maintenant. Mais les mots de Reed parviennent à tes oreilles, te rassurent d'une façon dont tu ne pourras jamais qualifier l'intensité. Outre tout ce que tu ressens, tout ce qui t'accable là, lié à ce souvenir terrible, il y a aussi tes responsabilités de sergent.

Et plus tu reviens à la réalité, plus tu peux intégrer l'impact de ce geste sur ton rôle, cette culpabilité toute autre qui s'installe, d'être un poids dans la pire des situations, quand tu es sensé être un phare, un guide. Et quand l'inutilité amère veut revenir te saisir, ta main maintenant posée sur le haut de Reed vient serrer légèrement, comme pour l'étouffer elle, cette sensation que tu veux avaler pour de bon.

Tu ne comprends pas les quelques mots qu'il glisse à ton oreille, mais la douceur de sa voix, la langue choisie, suffisent à t'aider à remonter un peu plus vers la surface. Tu ne lui demanderas pas plus tard, parce que tu n'es pas en état de te souvenir de sa prononciation - tu galères déjà assez en étant lucide - mais tu sais qu'ils étaient là, et que quoique qu'ils veulent dire... Ça n'est pas vraiment là que tient leur importance.

Tu desserres finalement ta main sur ta tête, lâche un peu la prise sur celle de Reed sans pour autant la laisser partir. Les pulsations de son cœur qui te permettent de te stabiliser, tant bien que mal. Tu te forces à lever la tête, jusqu'à l'appuyer en arrière sur ce qui te servait de dossier, les yeux clos - sentir le contact froid du matériau derrière toi. Et sans même y réfléchir, par réflexe, ton visage qui s'incline pour ce contact avec le sien contre ton épaule. Ta première grande inspiration depuis tout à l'heure, ta réalisation de ce pouvoir soudain inversé, plus toi sur lui, mais lui sur toi. Ta première capacité depuis bien des heures à te dire cette phrase magique qui marche habituellement.

It's gonna be okay.

La tête hors de l'eau, réellement, parce que tu te rappelles même du fait que tu es trempé, pas eu le temps de te sécher depuis ton passage dans la baignoire. C'est à quel point tu n'étais pas là, pas vraiment, mentalement, pour avoir oublié cette sensation désagréable de l'air froid qui mord la peau à travers les vêtements imbibés qui t'étouffent. Tu serres la main de Reed que tu as fait glisser sur le sol avec la tienne, les doigts entre les siens. Qu'une chose qui compte, plutôt que se pencher sur tout ce qui est pourtant si évident. Tu ouvres les yeux pour se faire, encaisse le tremblement qui vient avec le fait que cela ne change rien à l'obscurité.

Let's just- get out. Please.

Encaisse aussi le fait qu'avec la lucidité revient malgré tout la responsabilité, le besoin de s'assurer, et ça, même si tu devrais te soucier de tes propres problèmes d'abord, c'est un bon signe.

Is everyone here ?

Résumé: