Ainsi commence souvent Tiberius lorsqu'il surprend un regard surpris. Avec ses tenues sobres pour un inspecteur du NCPD et son accent de couteau à beurre, il interpelle lorsqu'on fait ça avec ses traits typiques d'Amérique Centrale.
Pourtant, il n'est qu'un fils d'émigrés parmi d'autres. Pedro Cruz, cubain, et Aleida Arci, d'origine guatémaltèque, se sont rencontrés au Venezuela. Ancien soldat corpo, ayant combattu auprès de Lazarus dans les nombreux petits conflits d'Amérique Centrale, Pedro tomba bien vite de la jeune banquière rencontrée dans un bar. Si les NUSA et l'OAS vivaient en paix relative et chacun de son côté, ce n'était pas le même sort pour cette région. Leur projet, avant même de fonder une famille, fut de quitter les Amériques pour trouver une vie meilleure, ou du moins plus sûre.
Fort de leurs compétences, Pedro put ainsi trouver un rôle de garde du corps dans la fameuse corporation RSVP, basée à Paris, et Aleida dans une banque notamment grâce à ses talents multilingues. Fiers de migrer, ils décidèrent de choisir un nom pour mieux s'intégrer et ainsi naquit le couple : Monard même pour la petite communauté latina du sud de la France, ils restent des Cruz. Ce fut dans ce contexte privilégié d'un habitant de l'Union européenne que Tiberius naquit. Si ses parents ne roulaient pas sur l'or, ils avaient accès à un certain cadre de vie dans une région plutôt épargnée de France. Enfant unique, il grandit avec la ferme intention de ses parents d'en faire un Français, bien qu'ils parlent espagnol à la maison. Bercé par les histoires de son père du temps de sa jeunesse, mais surtout par les escarmouches spatiales de la Quatrième Guerre Corporative, Tiberius s'intéressa très jeune à l'espace. Il désirait voler et explorer les profondeurs inconnues de cette immensité noire.
Son père le poussa alors à étudier sérieusement. Élève concentré, peut être trop, Tiberius réussit haut la main les examens européens et intégra une école d'ingénierie. Il passa les quatre premières années de ses études à suivre un cursus assez général. Cela signifiait principalement de la robotique, des bases d'informatique et d'astrophysique. Il rejoignit également un club de boxe. Cette dernière activité était depuis de nombreuses années un moyen de défouler son impulsivité et d'apprentissage à se concentrer. Si la première année fut synonyme de débauche, de soirées et d'amourettes à tout va, après un lycée des plus studieux, Tiberius fut bien vite rattrapé par la fureur parentale au vu de ses résultats médiocres.
Blessée, mais surtout honteuse, Tiberius donna toute son énergie - et quelques hectolitres de café - à réussir à passer son diplôme. S'il ne fut pas major de sa promotion, il se plaça en assez bonne position pour intégrer l'Institut supérieur de l'aéronautique et de l'espace à Toulouse pour y suivre une formation en Aeronautical Engineering and Space System Engineering. Pendant près de trois années, Tiberius changea profondément. D'une nature impulsive et assez ouverte, il devint plus maîtrisé et austère, bien que toujours jovial. Ses relations avec ses parents prirent un froid sans précédent. Bientôt, il ne leur rendit visite guère plus qu'une fois par an, tout à son ambition de s'envoler un jour pour l'espace.
Son travail paya lorsqu'il put intégrer les cadets de World Satellite Communication. Mégacorporation européenne par excellence, ils recrutaient souvent parmi les élites étudiantes de la région. Tiberius déménagea alors à Paris en 2064 pour commencer sa formation. Pendant deux ans, il apprit les secrets du métier, les différents véhicules et l'art du pilotage, aérien comme spatial avant d'être versé dans les forces spéciales de WSC. Pourquoi ? Parce qu'il l'avait tout d'abord demandé et s'était entraîné pendant ce temps, mais également parce qu'il faisait parti des meilleurs élèves, doté d'un casier clean.
WSC contrôlant une grande partie des satellites et des communications à l'échelle mondiale, cela en fait une cible de choix pour les netrunners et autres voleurs de données. Traumatisée par la Quatrième Guerre, la Corporation avait investi très lourdement dans son domaine aérospatial militaire ou presque. Trois minuscules équipes, d'une dizaine de personnes, étaient ainsi à tout instant dans l'espace. Rattaché à un port spatial particulier, grâce à un partenariat fructueux avec Orbital Air, ces mini troupes étaient toujours déployables. Lourdement équipé, entendez chromer, Tiberius intégra une de ces troupes et en prit la tête en sa qualité de pilote. Très proche de ses hommes, il resta près de cinq ans en pesanteur constante ou artificielle dans des conditions des plus lugubres. Tout lien avec ses parents finit par disparaître à cette époque comme ses seules permissions consistaient à quelques semaines par an à son port d'attache, une grande ville de l'ouest américain : Night City.
Son attachement pour la mégalopole naquit durant cette période. Seule chose de la Terre qu'il put voir pendant de nombreuses années, il se sentit bientôt chez lui lors des rares escales autorisées. De son temps en tant que membre des forces d'intervention de WSC, Tiberius n'est pas bavard. Au-delà de la classique paperasse de non-divulgation, il dut longtemps s'accrocher à l'idée de faire le bien en protégeant les réseaux de communication du monde entier. La vie dans l'espace n'était pas de tout repos et s'il aimait piloter et franchir les immensités du vide, son corps et son esprit eux déclinaient. Les combats étaient rares, au-delà de quelques raids d'autres corpos ou pirates improvisés, mais rudes. Entre les cocktails chimiques injectés dans leur corps et la violence, Tiberius se souvient encore des morceaux de membres voletant dans l'espace et les parois des vaisseaux gorgés de sang.
Aussi lorsque son contrat se termina, WSC ne gardant rarement plus de cinq ans ses troupes en l'air, il refusa de continuer à travailler pour la corporation. Il invoqua son désir de continuer à servir une cause et à défendre quelque chose. Or, être un simple ingénieur ne lui suffisait pas. Jouant des quelques contacts qu'il avait à Night City et ses collègues, il fit savoir son intérêt pour rejoindre le NCPD. Lazarus, RSVP ou même Militech ne l'attirait pas. Tiberius désirait profondément servir une cause et non le capitalisme. Il put ainsi intégrer la police de Night City en 2071 juste après la Guerre d'Unification. Si on lui proposa un poste au sein du SWAT, eut égard à ses troupes, il demanda plutôt à intégrer les bureaux d'enquête et notamment ceux de la Special Investigation Unit (SIN).
On lui refusa pour des raisons évidentes de manque d'expérience, mais il put intégrer les patrouilles aériennes en tant qu'officier de police et pilote. Au bout d'un an, son intérêt pour les enquêtes, son bagou et ses questions incessantes lui permirent d'intégrer un programme de formation interne. On le colla dans les pattes de Julia Orpan, officier spécialisé dans les affaires corpos. S'il avaient sensiblement le même âge, leurs origines étaient très différentes et une chose était sûre avec sa mentore, elle détestait les corpos. Leur relation des plus houleuses mit longtemps à être efficace. Prenant sur lui, malgré de longues engueulades, Tiberius brava nombre de fois les bâtons dans les roues posées par son démon personnel. Usant de ses liens avec Orbital Air à Night City et WSC, il réussit à débloquer certaines affaires de longs termes.
Confronté à l'ambiance toxique de Night City, Tiberius prenait sur lui devant la violence. Si les affaires corpo étaient plus douces que la plupart des autres dossiers tenus par le SIN ou les bureaux d'investigation, il eut son lot d'horreurs. Parfois justifiés, parfois non, tous les crimes l'enfermaient peu à peu dans une boucle de preux justicier : il fallait bien quelqu'un pour faire le sale travail de protéger les citoyens. D'une certaine façon, lorsqu'en 2077 après cinq ans de formation par Julia, on lui remit officiellement sa "liberté" en tant qu'enquêteur, Tiberius se sentait à sa place. Cabossé, mais motivé.
NC should be called LC, Land of Corporatism, because it is a merger of state and corporate power.
Alejandro Sanz - La Despedida