Mon incapacité à résister aux objets bleus en tout genre s’est déclenchée pendant l’enfance malgré toute l’attention que ma mère m’a portée et le fait que je n’ai jamais réellement manqué de rien. J’ai vu des spécialistes mais ça n’a pas suffit à arrêter mes pulsions. Ca a attiré quelques ennuis à ma mère alors, en grandissant, j’ai appris à cacher mes “butins” et à tout nier en bloc si l’on en venait à me questionner. Aujourd’hui, elle pense que c’est de l’histoire ancienne mais j’ai trop honte pour lui avouer la vérité.
Ma mère est mon héroïne. Elle a toujours tout donné pour que l’absence de mon père ne se fasse pas sentir. Elle s’est mise de côté pour m’offrir la meilleure enfance possible et me donner tout l’amour qu’elle était capable de ressentir. À mes interrogations, elle a toujours répondu mais je suis loin de me douter que pour me préserver, elle a dû me mentir et cacher la véritable raison du départ de mon paternel.
Je n’ai pas été épargnée en grandissant à Night City malgré les tentatives de ma mère de me rendre aveugle et sourde aux choses que personne ne devrait voir ni entendre. Elle a essayé de les chasser à grands renforts de récits tous plus formidables les uns que les autres, me partageant de temps à autres des souvenirs qu'elle entretenait ou que ses parents avant elle lui avaient contés. Elle me racontait le ciel bleu, la sensation d'air pur après une randonnée loin de la ville, les étoiles et galaxies visibles à l'œil nu si tant est que l'humain leur laisse l'espace de briller, elle me décrivait les oiseaux qu’elle n’avait elle-même pas connus, peut-être que ses descriptions n’étaient pas exactes mais ça ne m’importe peu, ça me faisait rêver, tout simplement. J’ai d’ailleurs été particulièrement secouée en apprenant l’extinction définitive des requins alors que je n’étais pas particulièrement attachée à cet animal.
Elle m'a montré tout ce que les hommes et les femmes ont créé de beau dans ce monde : l'art sous toutes ses formes, les avancées technologiques pour améliorer notre confort mais aussi nos vies, les progrès de la médecine… Et moi, ça m'a fascinée de découvrir ce que nos yeux pouvaient voir, nos cerveaux interpréter et imaginer, nos mains construire. Je me suis mis dans la tête que n'importe qui pouvait créer ou apporter du beau si on lui donnait sa chance. Je me suis dit que si chacun évoluait dans un cadre positif et aimant, le monde se porterait mieux, qu'il ne suffisait de pas grand chose, d'un sourire, d'un mot rassurant ou d'une main sur l'épaule pour apporter son soutien à quelqu'un et lui apporter l'énergie suffisante pour avancer dans la bonne direction.
Souvent, j'en parlais avec ma mère et exprimais ma frustration, persuadée que ça ne coûtait rien à personne de faire ne serait ce qu'un petit effort, qu'au final nous étions tous les mêmes et qu'il n'y avait qu'à plusieurs que l'on pouvait avancer et créer. Elle ne m'a jamais démentie mais, à la place, se contentait d'ébouriffer mes cheveux en me disant parfois que je ne devais pas abandonner ces convictions. D'autres fois, son discours était plus défaitiste car il lui arrivait parfois qu'elle pense que c'était trop tard pour que ça arrive, que l'on n'était plus assez à être épargnés et détachés pour prendre cette direction. Et quand elle me disait ça, ça ne faisait qu'alimenter ma volonté de lui prouver qu'elle avait tort.
Certains diront que je n’ai pas été suffisamment assidue, d’autres plus méchants et plus dédaigneux diront que je ne suis juste pas assez intelligente. Personnellement, je ne sais pas pourquoi j’ai été refusée. J’ai fait le maximum mais on ne m’a pas retenue pour étudier la médecine. Peut-être que tout le monde avait un peu raison mais je ne me suis pas arrêtée à cet échec, bien décidée à travailler au service des autres, d’apaiser leurs douleurs mais aussi leurs craintes. Je voulais être au plus près des autres, persuadée de pouvoir faire ne serait-ce qu'une petite différence dans leur quotidien. Qu’à cela ne tienne, j’ai poursuivi des études d’infirmière, enchaîné les apprentissages dans différents services. Et c’est à ce moment-là que ça a commencé.
[T.W : Harcèlement professionnel et sexuel, burnout]
J’aurais dû arrêter, dès le départ. Mais bêtement, je me suis dit que ce n’était qu’une forme de bizutage et que cela changerait à partir du moment où j’obtiendrais mon diplôme et deviendrais titulaire. J’ai cru que les mains baladeuses se montreraient plus respectueuses de ma blouse officielle, que mon badge suffirait à arrêter les remarques déplacées et à dévier les œillades un peu trop insistantes. Mais non, je me suis trompée sur toute la ligne. Je ne mets pas tout le monde dans le même panier, mais ce n’étaient pas que des cas isolés, tant chez les patients que certains médecins.
J’ai fini par aller au travail la boule au ventre, à ne plus pouvoir me tenir droite à cause de sévères brûlures d’estomac liées au stress. J’arrivais à en parler à quelques collègues, dans le même cas que moi ou non, mais cela ne suffisait plus avec le temps parce que rien n’était fait, rien ne pouvait être fait.
Il y a eu la fois de trop, la fois qui m’a empêchée de sortir du lit le lendemain et le surlendemain. On m’a arrêtée quelques temps et puis on m’a missionnée. J’ai refusé d’y retourner et avec le soutien de ma mère, j’ai démissionné. Ça a été un véritable crève-cœur, je l’ai vécu comme un échec, d’avoir perdu le but même de mon existence mais même mon corps refusait de poursuivre dans cette folie. Ma mère ne m’a pas lâchée, elle s’est installée chez moi les premières semaines pour veiller sur moi, m’aider dans les tâches de la vie quotidienne, me pousser à manger et voir des professionnels.
J’ai repris peu à peu des couleurs et de force, à grands renforts de repos et de traitements que l’on changeait pour m’apaiser au mieux. La prochaine étape consistait à reprendre une activité professionnelle pour me réinsérer dans la société et retrouver un nouvel objectif de vie. Autant dire que ça a marché à moitié.
J’ai cherché un travail qui ne me mettait pas trop en danger mais qui me permettait quand même de voir des gens parce que, malgré tout, j’ai besoin de voir du monde, j’ai besoin d’échanger ne serait-ce que quelques mots pour avoir la sensation de véritablement exister. Alors oui, j’ai retrouvé un rythme “normal” mais je ne ressens pas beaucoup de satisfaction et n’ai pas le sentiment de changer les choses lorsque j’explique à mes clients qu’il faut attendre que le petit cadenas disparaisse de l’écran avant d’ouvrir la machine ou que mettre trop de produits ne rendra pas le linge plus propre ni plus éclatant. Au moins, je peux mettre un peu d’argent de côté chaque mois, bien que le salaire ne soit pas mirobolant.
C'est douloureux de se rendre compte que tout n'était qu'une utopie mais surtout, d'être incapable de s'en séparer. J'ai cette sensation étrange que si j'abandonnais cette partie de moi, je n'aurais plus rien d'humain et que je cesserais d'exister. Pourtant, il faudra bien que j'ouvre les yeux et me rende à l'évidence que je ne suis rien ni personne, que je n'ai aucun pouvoir et encore moins d'impact sur les autres et sur le monde. J’ai essayé et échoué. Je suis juste là sans raison particulière, juste parce que, et je crois que, pour moi, il n'y a pas de réponse à ce "Pourquoi ?".
Je ne peux pas m'empêcher de distribuer des petits bouts de moi.
À gauche, à droite, à qui veut bien les recevoir.
Ren & Chinchilla - How To Be Me
pseudo ― Lapin Magique
pronoms ― Elle/Iel
âge ― 27 ans
fuseau horaire ― France
trigger warnings ― Le sexe de manière générale
crédits ― Images provenant de l'Instagram d'Erin Moriarty (@erinelairmoriarty)
comment as-tu trouvé le forum ? ― J'ai suivi quelques quelqu'uns
l'avenir de ton personnage ? ― J'imagine que Sophie resterait employée de laverie mais si jamais je dois partir, je pense que je préciserai ce qu'elle devient !