2041 ― Alors que le soleil déclinait, les berceuses s’écrasaient contre une conscience somnolente. Le bambin trouvait son apaisement dans les bras réconfortants de sa tante. Agatha déposa ses yeux sur lui avec beaucoup de tendresse, autant de caresses qu'elle n'aurait osé disperser alors que son neveu s'assoupissait. Le cœur gorgé de nouveaux sentiments, elle peinerait à mettre des mots sur ce qui avait justifié son acte. Quelques semaines auparavant, elle aurait ri si on lui avait prédit ce dénouement. Son indépendance avait toujours supplanté toute considération, même son affection pour son ex-compagnon ne lui avait fait remettre en cause le choix entrepris de ne pas avoir d'enfant. Pourtant, cela avait été une évidence quand le foyer dysfonctionnel avait révélé le danger pour le nouveau-né. Les négociations s'étaient déroulées avec un peu trop paisiblement pour ne pas renforcer ses observations. Ici, il ne serait pas négligé. Elle lui apprendrait tout ce qu'elle sait et elle ferait en sorte qu'il devienne un homme responsable, aimant et avisé. Une tâche accablante qui aurait dû la terroriser mais ce soir, entourée comme elle l'avait toujours été, cela lui paraissait presque aisé.
2051 ― Les sourcils froncés, il tentait de retenir le flot de ses larmes alors que l'épaule était examinée. Elle formait un angle inquiétant depuis sa chute sévère et il n'avait pas pu le cacher au retour de son énième exploration. Les bruits de langue que sa tante multipliaient, ne cessaient de communiquer sa contrariété à ce sujet. Combien de fois lui avait-on demandé de ne pas chercher à grimper cette montagne ? Il se lançait ces paris tout seul, voulait prouver on-ne-savait-trop-quoi aux autres gosses mais ça finissait toujours de la même façon. Le regard rivé droit sur l'horizon, il serrait les dents pendant qu'elle cherchait à replacer l'os. Son père n'aurait pas sourcillé et se serait montré courageux jusqu'au bout, il le savait. Le portrait fantasmé de ses parents ne cessait de se brosser depuis qu'il avait été en âge de se les représenter. Le peu d'informations rapportées par Agatha, avait été étoffées de façon romanesque de sorte qu'il était désormais convaincu de devoir égaler ce que son imagination avait engendré. Sorte d'idéal auquel il voulait aspirer, pour les honorer. Ils étaient probablement morts en mission, pour rapporter des choses essentielles au clan. C'est à cause de ça qu'il cherchait à s'endurcir, voulait à tout prix trouver son utilité ici. Il fallait qu'il suive ce chemin lui aussi, qu'il marche dans leurs traces coûte que coûte. Si seulement sa tutrice avait pu capter ses pensées, lui aurait-elle communiqué plus rapidement la vérité ?
2061 ― Les traits d'Agatha s'affaissaient à mesure que la colère se déversait. Elle ne reconnaissait pas l'adolescent maladroit et affectueux qu'elle avait élevé. Elle avait devant elle, un homme qui exigeait des réponses et qui ne l'excuserait pas peu importe comment elle présenterait la situation. A ses côtés, la silhouette nonchalamment posée de l'aîné, cet autre neveu qu'elle méconnaissait, projetait une ombre singulière. Cid ne disait rien mais admirait avec une certaine fierté le spectacle tragique qu'il avait provoqué. La tante voulut apaiser la débâcle émotionnelle de Cole en avançant une main dans sa direction mais il recula avant même qu'elle ait pu l'effleurer. Le fossé se creusait entre eux sous ses yeux impuissants. Il ignorait tout mais parlait comme si tout lui avait été divulgué. La réalité réinventée dans la bouche du frère bafoué, à peine arrivé, déjà occupé à faire imploser la sérénité et l'équilibre qu'Agatha avait réussi à leur construire. Elle n'arrivait pas à lui en vouloir cependant. Elle n'avait pas fait preuve d'honnêteté et le payait au prix le plus fort. Malgré ses tentatives pour réinstaurer un semblant de vérité, pour lui expliquer son besoin de le protéger, Cole resta hermétique à ses états d'âme. Deux jours plus tard, il était parti sans même l'avoir averti. Agatha se replia sur elle-même, sa santé déclina les mois suivants quand elle comprit qu'il ne reviendrait pas. La culpabilité et le chagrin réduiraient à néant sa vitalité et elle s'éteindra sans que son neveu ne soit jamais au courant.
2062 ― drogues
365 jours depuis qu'il avait quitté le sillage rassurant du clan. Il ne savait toujours pas s'il aimait cette vie ou s'il s'y était vaguement adapté. Son besoin de liberté se heurtait aux exigences de son frère et à ce que Night City pouvait lui proposer. Il avait le mal du pays, la sensation d'étouffer entre ces bâtiments et de se perdre dans les mouvements opérés par son aîné qu'il suivait négligemment. L'avidité de tout connaitre sur Cid avait été remplacée peu à peu par une certaine lassitude à l'écouter répéter en boucle les mêmes anecdotes, se plaçant toujours en victime de ses récits. Mais Cole n'avait pas égaré tout jugement, il voyait bien les vices de son frère, l'observait juste assez pour comprendre qu'il présentait les choses sous l'angle qui l'arrangeait. Le sentiment d'appartenance le préserva d'un total discernement cependant. Après tout, il avait retrouvé une partie de sa famille à laquelle on l'avait arraché. Alors il pliait sa morale, acceptait de tomber la tête la première dans l'univers de son frère. Il voulait mieux le comprendre, cherchait à tout prix à se connecter à lui mais naïf, il ne mesurait pas l'ampleur des dégâts. Il commit plus d'un acte répréhensible pour des raisons tordues et égoïstes, se retrouva trop de fois avec les idées confuses et des substances dangereuses entre les doigts. C'est comme ça qu'on fait la fête à Night City, fais comme tout le monde et arrête de te poser des questions. Cid lui rabâchait toujours les mêmes propos et l'influence qu'il exerçait était suffisante pour que le cadet continue à l'écouter. A mesure que les doutes pullulaient dans l'esprit de Cole, l'angoisse s'amplifiait, le rendait fébrile. Cet état le poussait à consommer toujours plus ce qui le répugnait à son arrivée. La tête dans les cuvettes, il terminait ses journées avec une mémoire fragmentée et des symptômes de manque de plus en plus longs, de moins en moins anodins.
2064 ― violence, description de chute, addiction
Le retour à la réalité fut brutal. La trauma team était déjà sur place, il avait tout juste eu le temps de s'enfuir. Il ne savait pas ce qui s'était passé, pourquoi il avait poussé cette personne innocente, qu'il ne connaissait même pas, d'aussi haut. L'inconnu - qui avait juste voulu l'aider, s'était fracassé contre le bitume en contrebas dans un horrible craquement. Paralysé dans la rue adjacente, Cole était en état de choc, tremblait de la tête aux pieds. Quand il jeta un œil pour voir où le sauvetage en était, il perçut les deux petits bambins, venus pleurer l'accident. Des enfants qui réclamaient leur père auprès de l'équipe médicale et qui ne récoltaient que des injonctions acides alors que le véhicule s'apprêtait à s'envoler. Le dégoût qu'il s'inspira, brisa la léthargie dans laquelle il s'était plongé jusque-là. Il voulut partir mais Cid le retint et il ne fut pas assez fort pour lui tenir tête sur la durée, le corps épuisé par son sevrage forcé ne l'aidait pas à faire preuve de volonté. Ça s'ébréchait pourtant de plus en plus. Cid ne minaudait plus sans arrêt, arborait un ton plus sec et plus tranchant - autant de tension s'accumulant et menant ultimement jusqu' à l'accident. C'est celui-ci qui fractura pour de bon leur duo chaotique. Son frère joua sur tous ses cordes sensibles pour l'embarquer dans un de ses énièmes projets. Et avant que Cole ait réellement pu saisir son implication, il se retrouva au cœur d'un champ de bataille. De ce jour, il ne se rappellera que du vacarme ambiant, des tâches de couleurs dansant sous ses yeux, de cette impression de tomber sans jamais atteindre le sol. Puis le silence, implacable remplaçant le fracas, des mains venus le tirer et le néant ultimement.
Le reste s'évanouira pour ne jamais plus lui revenir. Le traumatisme raiera de la mémoire son réveil ainsi que son cheminement pour quitter la ville et retrouver les Aldecaldos. Il rentra la mine basse, fût pris en charge rapidement par les siens comme s'il n'avait jamais déserté. Tout à fait mutique et confus quant aux changements s'étant opérés depuis son départ, il chercha après sa tante dès les premiers instants sans jamais la dénicher. Les mines apeurées qui répondaient à ses questions silencieuses lui donnèrent un bon indice sur ce qu'il avait pu se passer. Désorienté par sa surdité, il peina à embrasser les repères retrouvées. Il lui fallut attendre vingt-quatre heures et subir la pose d'implants pour réussir à communiquer, à comprendre ce qu'on cherchait à lui expliquer mais qu'il avait déjà deviné au fond. Agatha était morte pendant son absence. Il s'effondra définitivement et se mura pendant de nombreuses semaines dans son chagrin. La honte lui lacéra la conscience, la culpabilité le dévora. Il lui fallut plusieurs mois avant d'oser à nouveau regarder Reed droit dans les yeux. Une fois rétabli et prêt à assumer ses erreurs, il se jura de ne vivre que pour servir les Aldecaldos, la seule famille qu'il voulait reconnaitre et pour laquelle il devrait saigner.
2065 ― Cela lui avait pris presque un an pour parvenir à s'approprier l'héritage concédé par Agatha, il n'estimait toujours pas le mériter. Au fond d'un vieux tiroir, il trouva une cache secrète qui révéla d'autres secrets que sa tante s'était bien gardé de lui divulguer. Sur les documents, l'existence de Teddy était narrée, de notes en clichés, il comprit que sa génitrice avait donné naissance à un autre petit être juste après la sienne. Et de ce qu'il put comprendre, Agatha n'était pas parvenue à le sauver. La boule au ventre, Cole s'acharna à tout ranger et à ne plus y penser. Il ne voulait plus rein savoir. Pourtant, le visage entraperçu ne cessait de se caler derrière ses paupières repliées. Qu'était devenue sa sœur ? Cid connaissait-il son existence ? Allait-il la foutre en l'air elle aussi ? Il réprima chacun de ses songes jusqu'à ce qu'ils ne soient plus qu'un bourdonnement désagréable à l'arrière de son crâne. Les rêves à son sujet se dissipèrent peu à peu et il finit par se mentir si bien qu'il ne fût plus tenter de remonter la piste laissée par sa tante décédée.
2072-2073 ― Recroquevillée contre son ventre rond, Sarai pleurait silencieusement. Il l'avait surprise par hasard, mal planquée derrière un arbre, elle avait voulu craquer à l'abri des regards indiscrets. Cole n'avait pas trouvé les mots justes pour la consoler alors il s'était assis là et lui avait tenu la main jusqu'à ce qu'elle fût apte à se relever. Il ne se réjouissait pas que le père de l'enfant se soit envolé et ne profitait pas plus de l'occasion pour se l'approprier. Son affection pour elle resta secrète - comme elle l'avait été ces quatre dernières années, planquée derrière des intentions sincères d'être simplement là pour l'épauler. Il n'était jamais loin pour la soutenir et l'assister alors que sa grossesse atteignait son terme. Il ne s'imposa pas, n'essaya même pas de prendre une place qui ne lui revenait pas. Elle l'intégra à son quotidien petit à petit, trouva, à ses côtés, le réconfort d'un ami. Une longue année s'écoula avant que Sarai ne surprenne le regard de Cole sur elle. Déstabilisée, elle repoussa cette idée et le plaça à bonne distance le temps de comprendre ce qu'elle en pensait. C'est un long mois qui les vit évoluer dans des mondes séparés. Il avait perdu tout espoir, était convaincu d'avoir gâché leur amitié quand contre toute attente, elle se présenta sur le pas de son mobil home pour réclamer ses bras. Et à partir de là, il ne fût plus jamais question de remettre en cause ce qu'ils avaient initié.
2078 ― Il était rentré de mission épuisé, avait cueilli Sarai à l'extérieur, occupée à charger sa voiture de tout un tas de matériel. La rage amplifiait la rougeur de ses yeux quand elle lui expliqua rapidement les faits. Son benjamin s'était fait assassiner, son corps lui avait été renvoyé, poignardé à de multiples reprises. La raison brouillée par le chagrin, elle ne raisonnait plus correctement mais lui signifia son projet. Cole bascula de l'incrédulité à la compassion, vira plus rapidement encore à la colère tandis qu'elle se disait prête à tout abandonner pour tuer jusqu'au dernier des responsables. Il parvint à lui faire retarder sa petite croisade de quelques jours, chercha à réveiller sa lucidité. Elle refusa de l'écouter, lui remit sous le nez tous les risques qu'il prenait quotidiennement pour satisfaire les plans de son groupe. Leur mauvaise foi commune fissura pour de bon la communication et fracassa leur stabilité. Leur plus violente dispute se déroula devant témoins alors qu'elle quittait leur nid, jetait son sac sur ses épaules pour affirmer son besoin de partir. Il lui imposa un ultimatum. Elle y répondit en démarrant le moteur et en filant dans la nuit sans même prendre la peine d'offrir plus qu'un baiser sur le front de son fils. Nathan s'accrochait à Cole comme s'il ne pouvait plus tenir debout sans lui. Le beau-père se mit à conscientiser l'acte que Sarai avait posé et le rôle qu'il aurait à jouer désormais.
Skull cage like a prison.
EDEN - Circles