2027 Les pas précipités, l'acide de la pluie érodant la ville. Le souffle haletant contre ta joue, tes mains agrippant les vêtements de celle qui te porte, apercevant par intermittence les lumières défilant au rythme de sa fuite. La porte qui claque derrière vous, le vide dans ta poitrine quand tu te retrouves au sol, que l'on ignore autant ton regard que tes mains suppliant qu'on te ramène dans la chaleur des bras maternels. Tu seras bien ici. Il y a intérêt. Miss Valentine s'en va comme elle est arrivée au sein de l'Arche : en coup de vent. Elle te laisse pantelant sur le pas de la porte, incapable de comprendre ce qui se passe à ce moment. Elle t'abandonne, ici et là. Agneau perdu, tu te retournes vers la silhouette longiligne qui pose sur toi un regard froid. Au fond des pupilles céruléennes, on t'y trace un avenir que tu n'auras pas l'occasion de choisir.
2030 Martha est reine dans son château de cartes. Maîtresse de l’échiquier, elle décide de qui sera revendu à bon prix et qui pourrait rapporter plus, une fois bien éduqué. Matriarche calculant chacun de ses gestes, elle te donne pourtant l'impression d'être ce que tu peux obtenir de mieux comme mère de substitution. Au fond de ton esprit, se sont ancrés profondément les quelques gestes de tendresse qu'elle a pu avoir à ton égard. Les soirées où, un peu désorientée par un élan de nostalgie, elle t'invitait à se blottir contre elle, le temps d'un conte raconté en russe ou une balade fredonnée avec tendresse. Entre deux sommeils agités, elle t'appelle parfois Vadim avant de sombrer à nouveau dans les bras de Morphée.
2032 Les sourcils froncés, tu écoutes le sermon du Père David avec peu d'attention. Il parle des pêcheurs et par moment, il te semble en être un. Enfin, de cela, tu es bien certain. Tu es encore bien jeune pour saisir toutes les ficelles que tire Martha dans le monde de l'illégalité, cependant tu as déjà assez trempé dans des affaires de vol et escroquerie pour comprendre ce qu'est le pêché. Quand, après la messe, tu iras lui poser la question, l'officiant te répondra : « Dieu guide tes pas mon enfant, ce que tu fais ne peut être profondément mauvais. Lorsque que tu donnes, Dieu voit ton cœur et un jour, il te le rendra. »
2038 « T'es trop grand, trop cabossé, ça se voit que t'as déjà mal tourné. »
Les paroles tournent en boucle depuis des années déjà, disque usé, transformées en aboiements stridents au fond de l'esprit qui s'imagine parfois, avoir une autre vie. Dépassant depuis longtemps tous les gamins de ton âge, tu as pris la place qui t'étais destinée : tu grognes et frappes à la moindre contradiction, prêt à défendre ta vie à tous les instants. Petite frappe qui arpente les rues au nom de l'Arche, les moins téméraires ont rapidement appris à courber l'échine en apercevant ta silhouette. Il y en a d'autres comme toi, des chiots auxquels Martha semble s'être attachée – tu aimes pourtant à croire qu'elle t'a toujours préféré toi – mais leur nombre s'est amenuisé au fil des années. Enfouis là où ta mémoire ne peut les raviver, tu oublies les souvenirs de ces instants où la Faucheuse s'est penchée un peu trop attentivement au-dessus de ton épaule. Survivant, c'est la loi du plus fort qui dicte ta voie. Depuis ce moment là déjà, on te prend pour un idiot, juste bon à fracasser des os. C'est l'allure que tu te donnes, faut pas leur en vouloir. Pourtant tu passes du temps, le soir, à lire, que ce soit en russe ou en anglais, pour t'instruire, apprendre par toi-même. C'est presque un peu honteux que tu t'es lancé dans cette apprentissage, gardes ton attrait pour la connaissance secret.
2039 Les nouveaux enfants perdus passent toujours par un temps d'adaptation. Un sale quart d'heure. Ceux qui ne sont pas rapidement adoptés sont laissés en pâture aux plus costauds, leurs babines écumant de la rancœur d'une vie injuste et inconfortable. Généralement, quand l'échange devient trop violent, il te suffit de montrer un croc pour calmer le jeu. Il y en a un pourtant, qui se fait systématiquement bouffer le museau, dès que tu as le dos tourné. Il finit par te coller, comprenant rapidement qu'il a tout intérêt à rester dans ton ombre. Tu acceptes le rôle de gardien comme une soudaine évidence, rejetant pourtant la véritable raison de ce qui t'a poussé à le prendre sous ton aile : que Dieu t'en soit témoin, tu aurais vendu corps et âme pour que quelqu'un te protège comme tu l'as fait pour Wyatt.
La même année, tu te lances dans les street races, comme si tu pouvais souffrir d'une carence en adrénaline. Tu gagnes parfois, perds souvent, t'amuses beaucoup. Tu es du genre à aller emmerder les concurrents les plus déterminés, plutôt qu'à réellement essayer de terminer premier. On t'entend hurler, par-dessus la frénésie de la courses « I am the Nightrider. I'm a fuel injected suicide machine. I am the rocker, I am the roller, I am the out-of-controller! ».
2049 Tu les aurais brûlés. C'est ce qu'il te vient en premier à l'esprit – non, c'est viscéral, animal, ça embrase ta cage thoracique, tout ton corps, toute ton âme. Tes frères et tes sœurs, les enfants, Martha même, ne comprennent la soudaine rage t'animant. C'est l'un des mantras de la maison : s'il faut en sacrifier un pour que deux survivent, ainsi soit-il. Mais cette fois-ci, c'est Wyatt qu'ils ont abandonné. Quand tu mettras face à ses erreurs Martha, elle te rétorquera que tu es devenu trop tendre, que l'attachement que tu as envers ce pauvre gosse causera ta perte. C'est la sienne que tu provoques, après lutte trop brève que pour être équilibrée. Fracassée comme un pantin désarticulé, l'effroi balaie soudain la rage ayant provoqué l’innommable. L'Arche tombe au même moment où Martha poussera son dernier souffle. Les rats quittent le navire, trop effrayé par celui qui était leur aîné, leur protecteur. Désormais tu n'es qu'un meurtrier, un loup affamé de violence, un danger qu'il leur faut fuir pour survivre.
Il n'y a que Wyatt qui te supporte – dans tous les sens du terme. Tes états d'âme sont aussi changeants qu'extrêmes. Ta vengeance a fait du bruit dans les bas quartiers de Pacifica. Martha avait réussi à conclure un pacte de protection avec le gang maître des lieux, les Voodoo Boys. La matriarche tombée, l'accord avec, il ne faut pas longtemps aux membres du gang pour chasser les quelques gamins restés sur le carreau dans cette histoire. Quelques gosses t'ont suivi malgré tout, parce que tu as beau avoir anéanti la matriarche, tu restes leur référent, celui qui a toujours eu à cœur de les protéger. Tu fondes un nid au font d'un squat, où tu peux prendre soin de Wyatt quand tu n'es pas dehors, à récolter de quoi nourrir et protéger ce qu'il te reste de ta famille. Ayant atéri au fond des bidonvilles de Heywood, il ne faut pas longtemps aux Valentinos pour t'attraper et te demander des comptes. Bien sûr, tu montres les crocs, prêt à défendre bec et ongles tes gamin.e.s. Ta bonne étoile, ton sens de la famille et la croix dorée ornant ton cou te sauvent la mise. Et bien plus encore. Car, mieux que de simplement t'épargner, les Valentinos te tendent une main inattendue. Toi et les tiens êtes invité.e.s à rejoindre le gang. Tu leur jures fidélité sans devoir réfléchir longtemps.
2055 L'année où tu rejoins Militech. Ou plutôt, où l'on te force la main, après avoir défié l'un de leur membre. Paraît c'est un bon argument pour être une recrue idéale. Wyatt est ravi dans l'histoire – même s'il aurait préféré que tu cèdes à ses nombreuses invitations, plutôt que de devoir choisir entre l'enrôlement ou une fin moins envieuse. Il y a un peu d’orgueil dans l'histoire, beaucoup d'incertitude, assurément. Tu acceptes et courbes l'échine à l'autorité que l'enfant sauvage que tu es resté peine encore aujourd'hui à tolérer. Les heures passées à trifouiller sous le capot des street racers t'ouvrent la voie vers la mécanique. Discipline par laquelle tu ne manques pas de briller – sans t'en vanter, cela n'a jamais été ton genre. Tu préfères voir tes interlocuteurs jubiler de ta bêtise assumée, les laissant baisser leur garde jusqu'au moment où tu pourras en jouir le plus. Oh, il y a les armes aussi. Pas les quelques flingues usés que tu as déjà pu avoir en main. Non, de l'armement lourd, précis, de pointe. L'intérêt grandissant pour les deux matières, la camaraderie et assurément Wyatt te feront tenir quelques années sous ce régime.
2061 La guerre ne meurt jamais. A peu de choses près, cela aurait été l'année de ton propre décès. Soldat tombé aux combats, l'on t'aurait peut-être décoré post-mortem, l'on aurait prononcé ton nom parmi tant d'autres, l'on t'aurait respecté pour quelques mois encore avant de t'oublier – la vie à Night City est trop rude pour s'apitoyer longtemps. Il y a cette étreinte glaçante qui s'empare de ton être, que tu jurerais brûlant pourtant. Le vermeil sur tes mains, sur tes vêtements déchirés s'assombrissant un peu plus à chaque instant. Et comme une évidence, tu portes le regard vers le ciel grisâtre s'élevant autour de ton monde. La douleur est confuse, sourde, paralysante et pourtant... tu la ressens cette délivrance. Toute ton existence pour te mener à cet instant. Tout le périple d'une vie pour te sacrifier pour les tiens. Enfin Jedediah, enfin, repose-toi.
Il y a les cris du combat, le tumulte des armes qui martèlent, le fracas des vies s'entrechoquant pour s'anéantir l'une l'autre. Ce timbre de voix que tu reconnaîtrais entre mille, sans pour autant pouvoir déchiffrer ce qu'il a dire. La brûlure soudaine d'une gifle qui t'interdit d'abandonner ici, là, maintenant. Merde, c'est pas encore le moment, Jedediah. L'air qui brûle tes poumons, qui manque, la faiblesse de ton corps tremblant, les doigts pourtant agrippés à ses vêtements. Wyatt. Wyatt a dit à Dieu qu'il pouvait aller se faire foutre : ton heure n'est pas encore venue.
Il y en a peu qui aurait parié sur ta survie. Les premiers jours durant lequel tu as renoué avec ta conscience, tu n'étais pas absolument certain d'être encore sur Terre, pour être honnête. Les mêmes paroles reviennent en boucle, s'entremêlent au fond de ton esprit, te rendant incapable de déterminer s'il s'agit de ta vie, d'un rêve ou l'attente aux portes du Paradis. Spectateur absent de ta propre chute, tu te contentes d'observer le ballet s'agitant autour de ton être, réagissant à peine quand on tente de t'interpeller. Tu les entends murmurer que peut-être, tes circuits ont grillé. Que les charcudocs ont fait un travail remarquable. Que ce serait presque dommage de camoufler leur travail. Il te faut quelques jours supplémentaires pour commencer à observer ton corps meurtri, encore à vif des réparations qu'il a subi. Patient d'abord tolérant et toléré, on vient rapidement à pester contre ta manie d'arracher systématiquement vêtement et pansements, obnubilé par ce qui se trouve sur ta poitrine. Il y a deux cœurs désormais là-dessous, du titane pour os et alvéoles synthétiques, remplaçant ton poumon perforé.
2063 Sans surprise, Militech t'oublie vite. Sans l'honneur réservé aux morts, avec le goût de la déception au creux du palais. Une fois de plus, tu abandonnes les tiens. Cette fois-ci, il y a Wyatt, pour qui tu ne seras jamais plus frère d'armes. Tu mettras plusieurs mois avant de recouvrir à nouveau la parole, à te réapproprier ce corps étranger, à poser ton regard vers les cieux, milles questions au bout des lèvres auxquelles tu peines à trouver réponses. Tu cherches parmi toutes les ressources qui te tombent sous la main, retournes toutes les archives que tu arrives à te procurer, pèlerines à travers Night City, en quête d'une réponse. N'importe laquelle, pourvu qu'elle puisse apaiser ton âme, plus blessée que ton corps n'a pu l'être.
Tu prendras le panneau Help Wanted décorant la façade du Pegaso pour l'appel d'un nouveau départ inattendu. Eds restera cependant le plus étonné des deux quand tu lui déclareras, sans aucune once d'ouverture à la négociation, que désormais, tu travailles pour lui.
Incertain de l'accueil que l'on t'y réservera, tu frappes à la porte des Valentinos. Les murmures se lèvent, suivis rapidement par des éclats de voix. Soudain disparu, voilà que tu reviens comme un fleur pousser leur porte, leur demandant grâce, à nouveau. Les esprits s'échauffent, soudainement calmés par une voix te défendant. Un ancien gamin de l'Arche te défend, rappelle ta dévotion pour le gang, pour votre Seigneur, votre famille. Que tu n'as jamais trahi, ne le fera jamais. Les délibérations s'avèrent favorables pour ton être.
2074 Wyatt te parle d'un projet qui consiste à voler aux riches pour rendre aux pauvres, combattre l'injustice écrasante régnant sur cette ville. Les Outlaws, Il te convainc en à peu près dix secondes. Il ne t'en faut pas plus pour accepter la promesse de rendre le monde un peu meilleur.
2078 Eds t'annonce qu'il part à la recherche de sa soeur, te laissant les rênes du garage. Acceptant sur le moment, tu te demandes toujours quelle connerie tu as bien pu faire. Est-ce que le patron reviendra un jour ou est-ce que le Pegaso tien à jamais ?