L'impression de chavirer, qu'écoper ses mots à coup d'excuses ne serviraient à rien, que dans tous les cas il allait finir par boire la tasse. Il aurait voulu croire aux affirmations de Reyes, mais entre le fond et la forme, il y avait un gouffre effrayant que Caden ne fut pas sur de vouloir ignorer. Afin de fuir cette impression de vertige, Caden décala son regard vers le parc. Il n'avait pas relâché son bras, il ne s'était pas calmé, pas assez idiot ni assez insensible pour se convaincre de juste passer à autre chose.

Pas sur de quoi répondre ou de comment relancer la conversation, Caden n'aima pas la moindre seconde de silence qui suivit les mots de Reyes. Toujours silencieux, Caden préféra en fin de compte se lever, s'éloignant de quelques pas en direction des parterres de fleurs, le dos tourné au banc, à Reyes. Il hésita, il se gratta l'arrière du crane avant de finalement expirer et se retourner sans pour autant poser son regard sur Reyes. "I don't think I need to shoot you to make you mad Reyes." Finit il par commenter avec un petit sourire désolé.

Avait il pris ses distances pour éviter de trop facilement s'en prendre une ? Peut-être.

Son regard glissa sur le sien avant de l'éviter de nouveau. "I- Shit..." Caden expira de nouveau, il était mal à l'aise, les épaules voutées, une main plongée dans sa poche, l'autre agrippée à son coude, il jeta un coup d'oeil en direction de la sortie du parc avant reposer son attention sur le parc. "It's better if I shut up about this right?" Demanda t'il entre fatigue et un petit sourire d'autodérision. Il ne savait pas pourquoi il continuait à s'embourber dans cet échange. C'était juste plus fort que lui, un peu trop honnête pour son propre bien, évitant au possible de se comporter comme tout la plupart des enfoirés de cette ville. Il l'avait dit, il ne voulait pas se retrouver dans la même catégorie de ceux qui avaient insulté Reyes, quitte à s'en mordre les doigts à force de trop tendre le bâton pour se faire battre.

Caden se lève et Reyes est prêt.e à parier 10 eddies que c’est pour se barrer. Iel ne comprend pas ce qui a été dit de travers pour justifier ce comportement, mais iel sait qu’il est parfois plus facile de se barrer que d’assumer les conséquences.
Reyes ne lui en veut pas.
Iel a vécu une année en pensait que Caden était morte, iel peut bien vivre une année en pensant que Caden lui en veut. Mais à la place il y a quand même un dernier mot et ça arrache une sorte de rire à Reyes, qui ressemble plus à un raclement de gorge qu’autre chose. “What’s this? A shrink appointment? – I- Shit..." Apparemment, c’est encore le mauvais choix de mots. Reyes passe une main dans ses cheveux, se gratte la repousse contre son implant au milieu du crâne. “It's better if I shut up about this right? – Yeah choom. Everyone is cranky about the bug. I wouldn’t take it personally.” Plus facile à dire qu’à faire, probablement. Mais Reyes n’a pas de solution miracle, irait bien retourner l'entièreté des boyaux de Night City s’iel pouvait trouver le bouton on/off de tout ce merdier.
Mais les miracles n’existent pas à Night City, quand on a pas l’argent.
Et même ça, ça ne semble pas tout arranger ces jours-ci.
Iel s’étire, écrase sa clope sur le rebord du banc. Il ne lui fait pas une dizaine de secondes pour qu’une nouvelle cigarette reprenne sa place. “How long do you have the arm for?” Reyes donne un coup de menton vers le nouveau ajout. “Souvenir from last year? You sure the set ups are good?” Parce que Caden ne fait qu’y chipoter, et même si c’est nerveux, ça ne devrait pas nécessairement se faire sur la prothèse. C’est pas un ripper, Reyes. Mais iel s’y connait assez.
Et ça semble plus facile de discuter de ça, que des reproches qui mettent tout le monde à fleur de peau.

Ne pas le prendre personnellement ? Il s'agissait bien d'une chose que Caden avait toujours essayé de faire, affirmant y arriver, jusqu'à ce qu'une crise d'angoisse ne lui rappel qu'intérioriser ne voulait pas dire être en paix avec un problème.

Reyes marquait néanmoins un point, c'était sur que la panne généralisée n'avait pas été un facteur de sérénité pour la ville, il était surement l'un des rares à apprécier cette déconnexion. Il préféra néanmoins se taire à ce sujet, pas assez bête pour affirmer haut et fort que ce bug avait du positif devant quelqu'un prônant le contraire.

M'enfin. Au moins il n'avait pas l'air d'avoir plus aggravé les choses que cela, preuve étant : Reyes ne s'était pas levé.e pour lui en coller une.

Dans ses pensées, Caden se fit surprendre par la question, son regard allant vers son bras en passant par le visage de son interlocuteur.rice. Il ne comprit pas bien comment iel avait deviné, un scan ? Une attitude étrange de son côté ? L'amputé n'en savait trop rien mais eut le réflexe de relâcher son coude pour ne plus chipoter avec. A croire que chipoter avec son bras était une mauvaise chose, un peu comme s'il s'agissait d'une bêtise similaire au fait de jongler avec un téléphone tout neuf, qu'il était normal d'être repris pour agir de la sorte. Une belle preuve que malgré ces quelques mois, Caden avait toujours du mal à s'approprier cette nouvelle partie de son corps. "I... febuary- end of febuary..." Bégaya t'il avant d'être encore plus confus aux questions qui avaient suivi. "I... yes... and no... I mean- Yes, we can call it a souvenir but hum... no- sorry I mean- yes the settings are... good? I think?" Oh les mots... les mots étaient compliqués... et ce n'était pas comme si Caden était un expert dans le domaine ni comme s'il essayait de le devenir.

"Why?" Finit il par demander, ses deux mains désormais planquées dans les poches de sa veste, triturant en cachette un bout de plastique traînant dans ces dernières. Il ne s'était pas rapproché ni plus éloigné du banc, mais son attitude était restée dans cette maudite nervosité, sans trop savoir pourquoi cette bougresse refusait de le lâcher.

Reyes a visé juste et iel rit intérieurement de la détresse qu’iel sent chez Caden, plus qu’iel ne la voit. Mais au moins, iel a assez de considération pour ne pas appuyer là où ça ferait mal. Parce que ça lae ferait chier que quelqu’un lui mette le nez dans sa propre nervosité et comprendre que se tenir à côté de Caden est comme être à coté d’un miroir facilite l’échange, sait où iel peut mettre les pieds, et où ne pas bouger non plus.
“You’re fidgety.” Reyes aussi l’est, toujours un mouvement, un nerf qui se froisse sur sa propre existence. Iel se retourne aux sons, aux mouvements, maltraite le filtre de sa cigarette, tire la gueule. Une autre manière de montrer qu’iel ne supporte par le monde.
Encore moins avec le web qui lui a enlevé ce filet de sûreté.
“You can get like this, when you lose a limb following a trauma.” Iel marque une pause le temps de bruler sa cigarette sur quelques millimètres, le goût du tabac sur la langue, la sensation de braiser dans la gorge. “I lost my middle finger a while ago.” Iel fait un fuck de son doigt gauche pour montrer duquel iel parle. “Bulletwound. One sec it was there, the next, I couldn’t even pick it up. With the new cyberware, for a while I thought it was falling off.” Iel a un semblant de rire, qui se rapproche plus d’un raclement de gorge qu’autre chose. “Think it’s the mind, works differently. Between the one who love their chrome and do it willingly. Got time to prepare, visualize, think about it. Get a decent anesthesia. Meanwhile following accidents, flesh remembers the trauma.” Mémoire cellulaire, mémoire musculaire. Quelque chose entre ces lignes là. “Of course, they don’t tell you that on screen. But there is a reason the vets are wild, among other things.” Parce que ces histoires sont aussi intéressantes.
Et Night City, parfois, donne l’impression de n’être qu’un laboratoire à ciel ouvert. Voir jusqu’où la société peut maltraiter l’humanité, avant qu’elle ne craque.
2079 and counting.

Un sourire timide aux lèvres, presque coupable, désolé, toutes ces émotions traduisant combien Caden n'était socialement pas à l'aise, qu'il ne l'avait jamais été, car la commissure de ses lèvres ne s'était pas étiré par amusement, mais bien par moyen de protection.

Il l'écouta et ne chercha même pas à la.e contredire, il n'était pas discret et il n'avait aujourd'hui pas l'énergie pour tenter de l'être. Oreille attentive comme à chaque fois qu'on lui parlait, l'ancien éboueur trouva cette fois ci un réel amusement lorsque Reyes lui partagea ce doigt d'honneur. Forcément. Loin d'être pour autant insulté, ses traits partagèrent peu à peu sa perplexité face à cette histoire. Il n'était pas totalement sur que leurs expériences et accidents pouvaient vraiment se comparer, mais il comprenait l'idée sans se sentir capable d'y rebondir. C'était comme si ce sujet se devait de rester clos, comme si son vocabulaire lui échappait lorsque ce sujet était amené.

Son opération s'était bien passé, les soins pré et post opératoires avaient été complets et pourtant... Caden n'y arrivait toujours pas, ce bras, aussi réaliste pouvait il être avait tendance à appuyer sur ses plaies mal refermées. Une cicatrice mal aimée serait toujours plus sensible, plus creusée qu'une avec laquelle on était en paix. Pendant des mois l'amputé n'avait pas été capable d'y poser un regard, trop traumatisé pour s'y confronter. Ce n'était que depuis très récemment qu'il travaillait à plus l'accepter, à soigner cette fissure qui avait creusé son esprit.

"Rejection from the graft..." Articula t'il faiblement avant de s'éclaircir la voix pour mieux reprendre, offrir plus de souffle à ses mots. "Even if... well... I'm not sure this arm is the only one to blame." Confia t'il avec un petit rire gêné. "It sure didn't help but... I couldn't say that my anxiety only comes from this... It was already there." Soupira t'il en retirant sa main biologique de sa poche pour venir se gratter l'arrière du crane, son regard toujours tourné vers les bottes de Reyes plutôt qu'en direction de son visage. "I'm sorry for- for you finger." Glissa t'il sans trop y réfléchir, avant d'inspirer profondément et de s'oser à revenir s'installer sur le banc, à une distance respectable de Reyes, ses mains de retour dans ses poches alors que son regard fatigué se posa lui sur les quelques arbres visibles.

"Voice intonation." Reprit t'il après une pause de réflexion, sans trop savoir pourquoi il partageait cette information là, c'était peut-être parce que Reyes lui avait partagé sa propre histoire, peut-être pas, peut-être était ce juste l'occasion d'extérioriser sur ce sujet là. "Among everything else... voice intonation is probably the most common trigger to- well- make me lose the little piece of mind I can have." Expliqua t'il en terminant sa phrase sur un petit rire, plus désabusé qu'autre chose. "Which is... not the best in a city like Night City, especially with the network down, like you said, everyone is cranky." A ce stade c'était presque comique, à se demander qu'est ce qu'il fichait encore là.

Reyes comprend l’angaisse, c’est ce que ça fait, n’échappe pas un me too qui aurait permi de se faire comprendre un peu mieux par Caden. Reyes ne reconnaitra jamais ça, qu’iel a le même mal. Ce serait reconnaitre une faiblesse et ce n’est pas le genre de chose que RR accepte de montrer. D’où les médicaments, les drogues, la clope et plein d’autres vices, qui sont acceptés plus facilement que de reconnaitre une certaine angoisse dans un monde qui veut sa peau.
A la place, alors, Reyes hausse les épaules à l’empathie du membre. “Eh, it’s only a finger.” Vraiment, Reyes n’est pas attaché.e à une quelconque partie de son corps, taillé et adapté à comment iel s’identifiait à l’intérieur. Ce qui a été fait peut toujours être refait. Et ce qui est détruit peut être réparé, à leurs époques. Reyes ne compte pas le nombre de blessure par balle qu’iel a reçu, les brulures, les os cassés.
Vraiment, le mal extérieur est plus facile à soigner que ce qui est dans sa caboche.
Et celle de Caden, apparemment.
“Sorry, I know I speak harsh.” Reyes le sait, parce qu’iel s’est entrainé à avoir ce ton de voix qui trigger Caden. Parce quelqu’un sur la défense signifie qu’iel ne doit pas l’être et que les apparences, si elles sont définitivements trompeuses, sont aussi salvatrices dans une vie comme Night City. “Perk of growing up with gangsters.” Et d’autres figures peu recommandables. Reyes n’a que peu connu un ton aimant, quand iel était gosse.
Maintenant, celles qui l’aiment, c’est parce qu’iel a commandé leur amour à coup d’eddies. Même Kasmeer n’est pas capable de lui parler de cette manière qu’on voit dans les films.
Ne pas se dire que personne ne l’aime.
Se rallumer une clope, occuper ses doigts et sa gueule, plutot que ses neurones.
“So yeah.” Inhaler la fumée, laissé l’illusion que le tabac fait quelque chose dans un corps sur-alimenté aux consommations alternatives. “You’re fucked.” Semblant de rire, chez Reyes, un reniflement, une expiration légère. “You can try to take little relief knowing we all are.”
& pour ça aussi, Reyes paie.

"No needs for apologies." Avait il répondu avec toujours ce même besoin de désamorcer chaque excuse, comme si ces dernières pouvaient avoir le malheur de les faire imploser si trop s'accumulaient. Un jour, peut-être, finirait il par arrêter d'autant s'en préoccuper. "You're still above average." Se permit il sans trop trop y réfléchir, étouffant un petit rire au passage.

Pour ce qui fut de ce passif gangsters, Caden ne chercha pas à le creuser. Bon élève, il avait appris - à la dure - à ne pas poser de questions lorsqu'il s'agissait d'activités "hypothétiquement" illégales. Un matrixage si ancré que Caden ne réalisa même pas qu'il avait croisé les bras le long de sa poitrine, dans ce besoin inconscient de se replier sur lui même histoire d'éviter les foudres.

Et si son inconscient s'exprimait de cette façon, sa raison de son coté, se concentra sur cette conclusion qui lui arracha un bref sourire. Et pour cause, c'était en effet une bonne façon de résumer les choses. Son regard encore plus court que son sourire en la direction de Reyes, Caden réalisa qu'il avait manqué de poser une question finalement assez essentielle. "I didn't ask you- how, how are you doing? With this breakdow-." Si sa mémoire ne lui jouait pas des tours, Reyes était bien plus connecté.e qu'il ne l'était, bien que, d'une certaine façon, surpasser Caden dans ce domaine était extrêmement facile. "-Or in general, I don't know, it been a while so, I probably missed way more." A croire que cette année n'avait été qu'un rêve éveillé, prit dans cet état de déconnexion depuis bien plus longtemps que depuis cette panne réseau.

Ironique dans une sens.

Caden avait vraiment choisi son moment pour enfin se décider et enfin un peu mieux s'ancrer à sa réalité, pile quand beaucoup avaient eu la sensation que cette dernière avait commencé à leur échapper, des pièces de leur personnalité forcées à être mise de côté.

L’attention est à présent sur ellui, et vraiment, Reyes aurait pu le voir venir. Mais il y a toujours cet espoir, infime, que les gens oublient son existence et s’intéressent à ellui. Le soupire est noyé par le nuage de fumée qu’iel expire, les cendres tapée au sol. Iel hausse les épaules, sa gueule qui penche vers le bas en une petite moue. “I was doing fine, ya know.” Et c’est vrai. Toujours en vie, toujours en un seul morceau (ou presque). Pas de maladie, pas trop de voyages aux frais de la trauma team. “I mean, the city is still shit, but I was getting by.” A travers les complications et l’impossible d’être une personne saine à Night City. “Then…” Sa main fait un geste informe, Reyes n’a pas vraiment besoin d’expliquer que la vie a pris un tout autre tournant depuis quelques jours. “I guess I’m lucky, my work doesn’t depend that much on the network.” Pas de chômage, pas d’excuse pour se morfondre sur une réalité sans virtuel.  
Oui, il y a les maux de tête et le manque terrible de la technologie.
Mais Reyes sait faire taire tout ça avec une autre addiction.
Équilibre précaire.
Équilibre néanmoins.
“The rest, you probably heard a random dude in the street complain about it, so I ain’t bringing anything new to the balance.” Reyes sait être une personne de peu de mots, ne pas se perdre dans des explications longues. “But I’m happy to see you.” Coup d’oeil plus que bref vers Caden. “Really took the end of the world to find you.”
Et une pensée se glisse.
Est-ce que Reyes, aussi, est mort.e et que tout ceci est l’après-vie.
Ca a un petit goût d’enfer, quand même.
“Wait a minute…”
Comment savoir, vraiment, s’iels ne sont pas dans le Purgatoire?