Les jours étaient devenus des semaines que les mois avaient avalés. Pourtant tout semblait encore dater de la semaine passée. Peut être fallait il blâmer toute cette fatigue accumulée, peut être était ce la raison qui l'avait fait se renfermer. Le retour à la vie "normale" n'avait pas été des plus simples, à presque en regretter son séjour au centre hospitalier. Il avait passé des journées, des nuits à tenter de réaprendre, à trouver la meilleure façon pour enfiler un pull ou pire une chaussette, à utiliser ses couverts, à écrire... Tant de petites choses acquises devenus aujourd'hui un challenge et casse tête.

Est ce que tout les nouveaux amputés avaient eut droit au même discours ? Leur avait on rabaché que tout ne viendrait pas en seulement quelques jours ? Qu'il fallait s'armer de patience ? Une phrase tant entendue, si bien qu'à certains moments, cette dernière l'avait frustré. Peut être qu'avec un suivit spécialisé, tout ceci aurait été plus simple, mais cela aurait signifié plus de dépenses, des eddies que Caden refusait de faire débourser ses proches, ces derniers en faisaient déjà bien assez. Il passait d'ailleurs la plupart de son temps avec ses parents, rattrapant une certaine partie du temps perdue à leur côté, du moins jusqu'à ce que leurs regards peinés face à leur fils estropié ne devienne trop difficile à supporter. Sa chambre à l'Atlantis était devenu un refuge, s'y cloitrant avec toute cette incertitude concernant son futur.

Bien entendu, se payer un bras était la solution à son handicap, encore aurait il fallu l'argent pour que cela puisse seulement être envisagé, sans oublier les assurances et éclats allant de paires, Caden ayant bien trop souvent été raquetté pour ne pas craindre qu'un désosseur ne soit pas intéresser par ce type de rajout, il lui fallait un bras et la garantie de ne pas le perdre, de nouveau...

Il y pensa longuement, sans réellement trouver de solutions. De nouveau il devait s'armer de patience... La tête en vrac' et la manche de sa veste pendante, Caden n'était pas à même d'expliquer ce qui l'avait motivé à prendre le métro ce matin là. La seule chose dont il était convaincu restait qu'il n'avait de toute manière rien à perdre et que sur un malentendu cette solution pourrait l'aider à remonter la pente.

Sans s'arrêter face à la devanture du garage, Caden se dirigea vers ce guichet qu'il avait pendant un temps occupé, ce dernier vide, il hésita une seconde avant de laisser son index faire retentir la sonnette proposée aux clients. Il pouvait sentir l'odeur de l'essence, des pneus frais, de quoi raviver de vieux souvenirs qui lui volèrent un bref sourire. L'endroit avait été une bouffée d'air à l'époque où il était venu y travailler, de quoi le faire espérer que ce sentiment puisse aujourd'hui lui revenir.

Attendant patiemment qu'on ne vienne à sa rencontre, Caden se tourna sur sa gauche lorsqu'il entendit quelqu'un s'approcher, dévoilant dans son mouvement sa manche vide. "Bonjour..." Salua t'il dans un premier temps, reconnaissant ce visage sans être complètement certains du nom de famille de l'individu en face de lui. "Navré de vous déranger... je hum... j'ai travaillé ici il y a quelques temps..." Précisa t'il, son estime de lui même si bancale que se persuader être le genre de gars oubliable était facile.  "...est ce que Eds est là ?" Il ne pouvait se douter... 

Assis dans ce qui est désormais ton bureau, l'angle que forment des sourcils grisonnant laisse deviner une concentration des plus intenses. Tu soupires avant de te laisser retomber contre le similicuir usé de ton dossier. Eds a beau t'avoir montré les ficelles avant de déguerpir dans la hâte, appliquer ses conseils — et tout ce que l'empressement l'a fait omettre de t'expliquer — est une dure affaire. Devenir gérant de ta propre affaire n'avait jamais occupé une quelconque position dans les objectifs de ton existence. Cela n'avait jamais été une option que tu aurais envisagé. Le plafond semble durant plusieurs longues secondes plus intéressant que les préoccupations administratives dont dépend la non-faillite de l'établissement. Une grimace t'échappe quand un murmure au fond de ton crâne s'insinue vicieusement Eds aurait pu choisir n'importe qui d'autre. Tu chasses l'idée fausse — ou tout du moins que tu espères fausse — avant de te repencher sur le boulot t'attendant. Tu es cependant rapidement distrait par l'entrée d'un nouvel arrivant annoncé par le système de sécurité, directement sur ton holo. Tu as beau être en terrain ami, ça n'empêche pas que le taux de criminalité du coin reste au beau fixe.

Derrière la vitre de ton bureau, tu aperçois une silhouette s'avancer dans le garage, Billy, ton apprenti, interceptant le nouvel arrivant. C'est qu'il commence à prendre ses aises, les petits — tu ne peux t'empêcher de te dire que ce n'est pas trop, même si quelque part, il y a un peu de fierté dans la moue que tu arbores en l'observant. Tu es trop loin pour comprendre ce que le jeune homme dit, néanmoins tu n'as aucune difficulté à le deviner en l'apercevant se retourner vers le bureau et s'y diriger. On a besoin de toi. Tu te lèves avant qu'il n'arrive, apparaissant dans l'encadrement de la porte.

« On demande Eds. J'ai dit qu'il était plus là mais que tu pourrais p'tête l'aider. »

Tu acquiesces en tapotant l'épaule de ton interlocuteur — tu t'empêches de lui lâcher un c'est bien Billy, parce que c'est pas un gosse, malgré le fait que tu aies plus du double de son âge — avant de te diriger vers l'inconnu. Enfin, quelques pas à peine vers ce dernier, et tu te rends compte que ses traits sont familiers. Où est-ce que tu l'as déjà vu ? Les souvenirs filent au fond de ton encéphale, sans que tu sois capable d'identifier cet homme. Soudain, cela te revient, alors que tu arrives pile en face de lui. Il a bossé ici. Le nom du bonhomme t'échappe cependant — tu jurerais l'avoir au bout des lippes pourtant.



« Attends, je te connais toi. » Que tu lâches à quelques pas du nouvel arrivant. Les iris scrutent sans gêne, mettent à nue le pauvre bougre qui s'est aujourd'hui présenté à toi. Enfin presque. Parce que ce n'est guère ton être qu'il cherche. C'est presque devenu du comique de répétition, une tragédie dont tu serais pourtant bien passé. Propulsé à un âge où tu n'attendais plus rien de ce type, te voilà aux prises avec des responsabilités que tu n'aurais jamais imaginer avoir. Pas que tu n'aies pas la carrure pour, bien au contraire. Qu'Eds t'ait confié l'œuvre de sa vie plutôt qu'à un autre, ce fut certes inattendu dans un premier temps, mais après tout... après tout, qui d'autre ? Une évidence, une certitude même. Alors une fois de plus, tu te prépares à décevoir un nouvel être. « Eds est plus là. Pas qu'il est mort, hein, ça je te rassure, juste, il a dû partir. Raisons familiales. » La répétition t'a rôdé, c'est presque mécaniquement que les mots se sont alignés. La suite par contre, est moins automatique, elle passe toujours étrangement entre tes lippes, comme si quelqu'un d'autre s'exprimait à ta place. « Je suis en charge maintenant. » Tandis que tu déclares ceci, tes bras se croisent. Les paupières se plissent légèrement, témoins d'une réflexion profonde. « Mais ouais je me souviens maintenant, t'as bossé ici. » Ta dextre s'est désolidarisé du reste de ton corps, pointant d'un index soulignant l'éclair d'illumination ayant transcendé ton encéphale. « Jayden. Non. Ca... Carl ? » La paume de ta main s'entrechoque en rythme contre ton front, une myriade de prénoms approximatifs filant à travers tes neurones. « Caden ! » Eurekâ, tu peux te targuer d'une mémoire encore vive, malgré les années s'accumulant sous tes traits. « C'est ça hein ? » Malgré tout, une validation est la bienvenue. « Qu'est-ce qui t'amène ? » C'est seulement à cet instant, quand l'énigme de l'identité de ce pas si inconnu est levée qu'un détail - pourtant de taille - s'impose à ton esprit. Absolument certain que tu es d'avoir pu compter deux bras au gars face à ton être, te voilà surpris de découvrir sous sa manche l'absence du membre supposé être là. Immanquablement les hypothèses fusent au fond de l'esprit, supposant que l'absence doit au moins en partie être expliquée par ce paramètre.

Il n'est plus là. De nouveau seul avec cette idée résonnante en tête, Caden sembla gagner plusieurs degré d'anxiété. S'entretenir avec Eds aurait été plus simple, définitivement plus facile, tout comme travailler pour lui l'aurait été. Peut être partir était désormais le meilleur choix à faire, ne pas attendre que le nouveau responsable ne se présente et juste s'enfuir. Oublier cette petite hausse de courage qu'il avait eu ce matin en ce levant, et faire comme si rien ne s'était passé.

Ce fut donc la gorge serrée et les pieds vissés au plancher pour se retenir de déguerpir que Caden releva le menton quand une voix l'interpela. Jed. Si tout restait assez flou, la faute à l'introversion, au fait qu'à l'époque il ne s'était jamais tant mêlé que ça aux autres, Caden se souvint de lui. Nerveux malgré cette tête plus au moins familière en face de lui, il n'arriva pas à trouver le courage de l'arrêter pour en placer une. Il le laissa faire son chemin de pensée, fronça les sourcils concernant Eds avant de finalement opiner derrière un petit sourire nerveux quand son prénom fut finalement retrouver. "C'est bien ça..." Lui confirma t'il dans un premier temps, avant de se forcer à le regarder droit dans les yeux, à ne surtout pas se défiler. "Je hum... Eds m'avait dit que si un jour je souhaitais revenir travailler ici... je... j'étais le bienvenu." Sortit il un peu maladroitement, comme une justification de sa présence, une excuse expliquant sa présence, se cachant derrière Eds, par facilité, parce qu'il était plus facile de mettre la faute sur une personne absente que de quémander du travail à quelqu'un. "Je comprendrais si l'offre est... expirée." Ajouta t'il derrière un petit rire stressé et ce maudit tic de se gratter l'arrière du crane de sa seule main valide. "Mais si vous avez besoin de quelqu'un pour l'accueil ou le ménage... j'aimerai postuler..." Son regard alla vers sa propre manche vide, serrant un peu la mâchoire avant de reprendre, les muscles toujours aussi tendus. "Je ne vais pas vous mentir... je ne serais surement pas aussi efficace qu'à l'époque mais... je cherche juste un travail... peu importe le salaire ou les heures... juste-" Cette phrase ne se termina pas, coupée par un profond soupir. Malgré sa timidité, Caden gardait une dignité et se vendre de cette façon le frustra bien plus que jamais il ne serait capable de l'assumer. Il ne comptait pas le supplier, à ce stade, il ne le regardait d'ailleurs même plus dans les yeux, déjà prêt à s'en aller en cas de refus. Il avait eu la force de venir se présenter, mais il ne possédait pas celle pouvant lui permettre de défendre bec et ongles son piètre CV.

HRP:

Il a cet air des gamins perdus, des paumés des rues que t’as côtoyé toute ta vie. Jamais dans ton existence tu n’as dû vaincre les affres de la timidité. Gamin féroce, tu t’es transformé en adulte plus docile certes, mais rarement impressionné par qui que ce soit. En un coup d’œil, tu devines que ton interlocuteur préférait disparaître au sein de n’importe quel trou de ce monde que de se retrouver ici. Ca explique très certainement pourquoi t’en as mis du temps à retrouver son patronyme : le gars est passé pro dans l’art d’être invisible. La vague pensée qu’il serait plus utiles aux Outlaws provoque un tressaillement discret du coin de tes lippes. Un monsieur tout le monde qui passe partout, mieux encore : que personne ne remarque, dont l’image s’efface instantanément des esprits. Un vrai talent dans le métier.  Ce type est une virtuose de l’infiltration qui s’ignore.

Comme beaucoup d’autres avant lui, il voulait Eds. Et comme beaucoup d’autres avant lui, il peine à cacher sa déception de te découvrir à la place de l’être espéré. Mais ce Caden là, tu vois comme ses traits se décomposent, comme la nouvelle le mine plus que tout autre avant lui. Peu enclin à lui rendre la tâche plus facile – plus par un manque de tact dans ton éducation que par véritable malice – ton regard acéré scrute l’énergumène sans ménagement. Sous la peau de ton visage, les contractures de tes mandibules, suivant le fil de tes pensées, trahissent l’intense réflexion dans laquelle tu es plongée.

« Non. » C’est soudain et brutal comme couperet qui tombe sur la nuque du pauvre bougre venu t’affronter avec ce que tu es certain d’être le plus grand courage dont il peut faire preuve. « Je te vois pas à l’accueil. » Ta tête se penche, jugeant le bonhomme quelques secondes supplémentaires. Sans crier gare, des deux mains se posent sur ses épaules, l’énervement suintant de tes traits. « C’pas le prix que vous m’avez dit, vous êtes des putains d’arnaqueurs, y a pas un centime qui sortira de ma poche, vous pouvez allez vous faire foutre, vous allez entendre mes nouvelles ! » Les mots éclatent avec fracas dans l’espace trop étroit pour être confortable séparant vos deux visages. Tu recules d’un pas, recroises les bras comme si rien ne s’était passé, l’air placide familier à ton égard reprenant du service.
« Tu tiendrais pas une matinée. » Tu hausses les épaules, renifles brièvement, ton regard balayant l’endroit que tu connais pourtant par cœur. « Mais c’est pas un problème. Du taf, y en a. » Tu te grattes sans y penser l’arrête du nez avant de retourner à nouveau vers ton visiteur. « Nettoyer ouais, ce serait pas du luxe. » Que tu lâches, le regard balayant nonchalamment l'endroit ayant connu des jours meilleurs. Sans Wyatt pour veiller sur toi, tu verrais sur une palette dans une cave noire de poussières. Et tu n’y verras aucun problème. « T’es comment avec les chiffres ? » Ta dextre posée sur le menton, ça se voit derrière tes iris que les idées filent à grande vitesse. Les doigts dans le cambouis ou sur une gâchette, elle est là ta place, pas à te battre en duel avec l'administration que, honnêtement, t’as toujours fui.

Planté là à attendre une réponse, Caden commença à sérieusement regretter de ne pas avoir consommé le verre que le barman de l'Atlantis lui avait proposé avant de partir. Sur un malentendu cela l'aurait peut être aidé à calmer ses nerfs. Ou alors cela l'aurait aidé à ne pas se décomposer pour ce qui n'allait pas tarder à se produire.

Le 'non' faisait mal, il était sec, il était direct et avait l'effet d'une belle claque mentale. Mais elle avait été figurative, aucun contact, juste l'égo touché, ce n'était pas si grave en fin de compte. "Oh..." Glissa t'il en gage de réponse, bien que vu comment sa cage thoracique était comprimée, sa réponse n'était surement pas audible. Au moins il avait eu sa réponse, au moins c'était fini, il pouvait partir, du moins c'était ce qu'il avait pensé. Complètement incapable de réagir à ces mains soudainement sur ses épaules, Caden sembla se liquéfier sur place lorsque Jed commença à lui gueuler dessus. Dans une situation de combat-fuite, Caden faisait parti de la catégorie Bambi figé sur place à fixer les phares de la voiture en train de lui foncer dessus. Le cœur sur le point d'exploser vu comment il battait, Caden resta parfaitement immobile, son regard lui aussi figé sur Jed pendant et après sa tirade. Respirer. Cligner des yeux. On aurait pu croire que l'ancien agent d'entretien avait oublié ces fonctions primaires. Il prit quelques secondes à revenir à lui, à décontracter certains muscles et à décrocher le regard de ce son corps considérait comme une menace immédiate. Pourquoi avait il fait ça ? Avait il vraiment eu besoin de prouver son point ? Un non aurait pu suffire, Caden n'était pas du genre à argumenter.

Il se racla douloureusement la gorge sans encore relâcher le bord de sa veste qu'il avait agrippé en reflexe. "Je... hum..." Il avait du mal à l'écouter, luttant contre la crise d'angoisse fulgurante. Il se revoyait avec un flingue sur la tempe. Il se revoyait monter dans le coffre d'un véhicule malgré toutes les supplications du monde. Il se revoyait se faire tabasser dans une allée sans en connaitre la raison. Les yeux embrumés, Caden tenta tant bien que de mal de continuer la conversation. Il avait vaguement entendu que Jed semblait être d'accord pour qu'il nettoie l'endroit. Tout comme il avait vaguement entendu la question. "Je... je m'en.. sors." Articula t'il doucement avant finalement s'oser à lui jeter un regard qui ne dura pas. "Si..." Respirer, il pourrait craquer une fois chez lui, pour le moment Caden intériorisa du mieux qu'il le pu. "Si vous- si vous acceptez de m'engager... je vous demanderai de... ne plus- faire ce genre chose s'il vous plait..." Demanda t'il faiblement avant d'expirer un peu plus, le regard toujours terriblement bas. "Je vous rassure... je ne devrai pas réagir comme... comme ça quand il s'agit d'un client... étant donné que je bien plus sur mes gardes... mais face à... à quelqu'un que je connais... c'est plus difficile." Tenta t'il d'expliquer en poussant un peu plus sur sa voix pour arrêter de parler aussi bas. Il commençait à doucement se reprendre, c'était laborieux et Caden aurait bien aimé ne pas se donner en spectacle de cette manière mais au moins il ne s'était pas écroulé, une petite victoire pour la bulle d'anxiété qu'il était. "Pour en revenir aux chiffres... je ne devrais pas avoir trop de mal à m'adapter à votre compta' ou votre administratif si c'était ce que vous sous entendiez..." Tenta t'il d'expliquer pour se changer les idées. Entre les histoires d'huissiers qu'il avait hérité de son oncle et qu'il devait gérer depuis sa majorité et les multiples soirées à faire l'aide au devoirs ou à aider Hannah à réviser son concours pour rejoindre la NPCD, Caden connaissait certaines parts du système et surtout il s'avait les étudier au besoin.

Merde. T’y es allé un peu fort, et comme d’habitude, c’est après coup que tu te rends compte que tu peux être vachement con dans le genre. Tu l’as tout secoué le bonhomme, il est à deux doigts de s’effondrer sur le sol du garage. Sur ta face, les traits se figent dans un air soucieux. Caden a l’air d’une petite souris coincée au fond d’un piège. Ca te fout mal d’apercevoir au fond de ses pupilles l’angoisse d’un monde où tu serais son prédateur. Tu les sens, les remords te remuer le bide, l’amertume de la situation s’installer dans le fond de ta gorge. Y a une main qui se lève, dans la volonté de rassurer mais qui s’arrête soudainement en chemin, retombe mollement contre ton corps. C’est bien Jedediah, tu réfléchis maintenant. Un peu tard, mais louable.

“Merde, je voulais pas te foutre les boules mec.” Que tu lâches soudain, après un long silence - il t’a semblé durer des jours, à te demander ce que tu pouvais bien dire. Les pupilles céruléennes scrutent dans son entièreté le pauvre bougre. Tu soupires longuement, cherchant quoi faire dans cette situation - que tu as provoquée, tout seul, comme le grand bennet que tu peux être. Te sentir con, c’est une habitude de toujours. Agir avant de réfléchir, tout pareil. T’as pas la sagesse des grands, et l’âge qui s’accumule sur tes épaules n’a rien fait pour te bonifier. T’es resté un grand dadet qui sait mieux frapper que causer, qui préfère rire de tout que de s’autoriser à ressentir quoique ce soit d’un peu déstabilisant. Pourtant, tu la trouves pas la pirouette fantastique qui te sauvera de ce faux pas-ci. Tes épaules retombent lentement, une longue expiration accompagnant le geste. T’as au moins compris que faire semblant de rien et passer à autre chose - mécanisme numéro un parmi tes façons de gérer les situations délicates - n’était pas une option ici. Alors, t’essayes de faire de ton mieux, t’as au moins ce mérite.

“Je te promets une chose Caden : c’est que t’auras jamais rien à craindre de moi.” T’as cet air sérieux que tu réserves au moment solennel seulement, cet air un peu brisé au fond des pupilles que tu laisses pas trépasser d’ordinaire, cet air paumé des gamins des rues qui a jamais voulu te lâcher malgré ton assurance naturelle. Parce que c’est ce que tu as toujours été et sera à jamais. Un gamin paumé. Abandonné. “Et je te promets aussi que n’importe quel connard qui touchera un seul de tes cheveux, même qui élèvera juste un peu trop la voix sur toi... un mot de ta part et je le défonce.” L’air entendu, tu acquiesces à tes propres dires. L’étincelle de sincérité vulnérable s’évapore sous l’air affirmé du chien de garde. “Je sais pas ce que t’as vécu et je m’en fous, je veux pas le savoir, ça me regarde pas.” Le ton est un peu rude, tu fais pas exprès, c’est juste ta façon te parler et c’est pas passer les cinquantes balais que tu vas parvenir à y remédier. Comme si de toute façon, tu t'en étais un jour soucié. “Ici, y a pas de danger.” Haussant les épaules d'un air qui souligne l'évidence, tu recules ensuite de quelques pas avant de te retourner, faisant un geste de la main à Caden pour qu’il te suive “Viens, reste pas là.”

Il te viendrait même pas à l’idée d’attendre une réponse avant de prendre le chemin du bureau du garage. Le lieu devenu tient par la force des choses reflète déjà tes travers : trois tasses de café abandonnées à différents stades de remplissage jouent à cache-cache dans la pièce, des tâches de cambouis sur les tiroirs et un bordel à l’image de ton esprit encombré. Tu ouvres le mini frigo trônant dans un coin de la pièce, en sortant une bière sans alcool avant de lancer un coup de menton interrogateur à ton invité imprévu, lui demandant “Qu’est-ce que je te sers ?”

Avec comme seul objectif que de passer à autre chose et vite tourner le dos à cette peur qui ne s'était même pas permise de frapper de frapper à la porte, bien trop à l'aise, bien trop apte à faire comme chez elle, Caden força un sourire à ce qui ressemblait le plus à des excuses. "Ce n'est rien." Mentit il avec aplomb, comme pour s'en convaincre, comme pour faire croire que son sang froid ne s'était pas fait la malle.

Il ne s'attendit à rien, d'ailleurs il n'attendait rien, loin d'éprouver une quelconque forme de rancœur envers cet homme, trop habitué à blâmer ses faiblesses plutôt que les possibles responsables. Aussi, ce fut surement pour cette raison que Caden sembla particulièrement surprit des mots qui suivirent, ces promesses sincères. "Je-" Il était censé répondre quelque chose à ça ? Réagir ? "Merci ?" Tenta t'il sans trop savoir si cette réaction était celle attendue en face, mais peu importait. Ces mots eurent au moins le mérite d'arracher un réel sourire chez l'handicapé. Aussi brute de décoffrage cet homme semblait être, sa sincérité avait au moins réussi à très légèrement détendre l'anxieux de service.

Jamais il n'enverrait qui que ce soit tabasser qui que ce soit d'autre, même s'il s'agissait du pire des enfoiré, mais ça, Jedediah n'avait pas besoin de le savoir. La seule pensée d'une protection suffisait, le reste n'était qu'un détail oubliable.

Pas venu pour se faire prier, Caden se fit violence pour convaincre ses jambes de lui obéir, il le suivit vers cette pièce qu'il connaissait déjà, elle n'avait pas tant changé malgré les quelques années écoulées. Attiré par quelques photos affichées au mur, Caden prit une seconde à capter la demande. "Oh. La même chose. Merci." Bien que ses nerfs auraient bien eu besoin de quelque chose de plus fort, le demander n'effleura même pas l'esprit de ce grand idiot. "Et hum- merci de m'accueillir, malgré le temps passé et le début de Ed'." Sourit il un peu plus faiblement, encore mal à l'aise à l'idée d'aller quémander du travail de cette façon, surtout dans cette condition. "Jed c'est ça ?" Questionna en s'approchant pour récupérer sa bière, remerciant de nouveau d'un petit mouvement de menton. "Cela fait longtemps que vous avez repris le garage ?" Caden n'avait strictement rien suivi, aucune idée depuis combien de mois, d'années le garage avait changé de propriétaire, tout lui semblait aujourd'hui si lointain. Au moins l'endroit ne semblait pas se porter si mal, enfin à première vu, pour ce qui était des coulisses et des chiffres, cela restait Nightcity, rien n'était jamais bien simple.